Etes-vous victime des biais décisionnels en négociation ?
- ARTICLES DE FOND
Par Nicole Spitaleri, Consultante-coach
Vous avez déjà certainement entendu parler des biais cognitifs, ces schémas mentaux qui ont un impact important sur notre vie, sur nos décisions et réactions.
Comment nos choix, que nous pensons être libres, sont conditionnés et biaisés ? Comment le fonctionnement des deux hémisphères de notre cerveau peut être déséquilibré et impacter à notre insu notre façon de négocier ?
Voyons ensemble certains biais qui filtrent notre vision du monde et qui ont un impact direct sur nos négociations. En prendre conscience permet d’éviter l’auto sabotage.
6 biais significatifs en situation de négociation
1. Le biais de statu quo est ancré en nous depuis la naissance. Il stipule que l’être humain préfère la stabilité au changement. Si cela peut être vrai parfois, ce schéma mental est un mécanisme de défense entravant et bloquant dans des négociations tendues et semblant sans issue. Or, c’est dans ces moments que nous avons le plus besoin d’agilité et de créativité pour construire des options nouvelles et penser « out of the box ». C’est un effort sur soi d’accepter, qu’en négociation, il faille à certains moments mettre entre parenthèse nos idées reçues et nos positions qui nous paraissent évidentes. Ceci ne met aucunement en risque, bien au contraire, ni la relation ni le résultat final. C’est précisément le biais de statu quo qui fait que nous nous précipitons à proposer ou à accepter un compromis et, pire encore, que nous bradons parfois nos intérêts.
2. L’ancrage, c’est la première valeur, offre, proposition ou le premier prix qui est donné lors d’un échange. Il va obliger l’autre à se positionner par rapport à cette donnée, qu’elle soit justifiée ou pas. L’ancrage servira de référence dans une négociation. Donc donner en premier la valeur/le prix influencera le niveau de la réponse de mon interlocuteur. Une étude a montré qu’un ancrage même irréaliste, va permettre au final de fixer la barre plus haut sur un objet donné. Bien sûr, il vaut mieux rester crédible et ancrer surtout la confiance quand on négocie, tout en sachant cependant que l’ancrage crée une référence mentale.
3. Le biais d’excès de confiance se manifeste quand nous croyons avoir plus de capacités que les autres et que nous pensons pouvoir arriver à certains résultats en moins de temps qu’eux. Or, nous risquons parfois de surestimer les ressources dont on dispose. Bien au contraire, il serait intéressant de s’intéresser à nos partenaires de négociation pour mieux les connaitre et découvrir leurs caractéristiques afin de co-créer ensemble les solutions convenant aux deux parties. S’intéresser aux autres à travers des questions ouvertes permet de créer un lien entre les partenaires de négociation et de faire en sorte que chacun mette ses ressources au service de cette dernière. Cette attitude est nettement préférable à celle consistant à aborder la négociation en imposant des solutions qui nous semblent les meilleures pour la situation.
4. L’heuristique d’affect concerne la façon dont nous utilisons l’information qui est à notre disposition pour effectuer des évaluations ou prendre des décisions. Or, notre perception de la réalité est influencée par nos émotions qui se créent sur la base d’images mentales auxquelles on associe des sentiments positifs ou négatifs. Bien souvent, dans le processus décisionnel, nos neurones émotionnels vont collaborer avec nos hormones émotionnelles (les neurotransmetteurs comme l’adrénaline ou la dopamine) pour faire des choix qu’on pense rationnels. Ceci est particulièrement vrai dans l’acte d’achat ou lors de nos négociations. Rappelons-nous : à la table de négociation, nous avons tendance à sous-estimer les risques associés à ce que nous valorisons et à surestimer les risques et les bénéfices associés à ce dont nous avons une image négative. Cette prise de conscience nous aidera à faire des choix sans nous laisser piéger par nos émotions.
5. Le biais de confirmation est une sorte de raccourci mental que beaucoup de partisans de partis politiques et d’idéologues utilisent. Nous avons tellement tendance à accorder une grande importance aux seules informations qui appuient nos croyances qu’on peut zapper des informations utiles pour comprendre notre interlocuteur et pouvoir répondre à ses affirmations ou besoins. En négociation, ceci est à l’origine de multiples malentendus découlant d’une perception réductrice de la situation. Pour éviter cette conséquence, nous recommandons d’encourager l’autre à exprimer sa propre perception avant de donner la nôtre.
6. Le biais de conformité, est fortement relié au biais de la pensée de groupe. Il s’agit de notre élan naturel à se caler dans le moule et à répondre aux attentes. Le but recherché est, durant l’enfance, d’être aimé de nos parents, puis plus tard, d’être accepté par les camarades à l’école et intégré socialement. Or, dans certaines négociations complexes, faire justement ce qui n’est pas conforme aux attentes et miser sur l’effet de surprise, peut être absolument débloquant.
En conclusion
Prendre conscience des biais décisionnels permet aux négociateurs et aux décideurs d’éviter certains pièges et d’améliorer leurs résultats et accords. Toutefois il convient de rappeler, qu’en matière de négociation, l’enjeu est double : comment négocier avec nos biais et aussi ceux des autres ? En effet, il nous appartient d’amener nos interlocuteurs à prendre conscience de ces schémas limitants et les aider à les gérer. Le but est de pouvoir avancer ensemble d’une manière rationnelle et constructive pour les deux parties.
Pour terminer, s’il existe beaucoup de biais qui entravent nos prises de décisions et qui vont à l’encontre de nos intérêts directs et indirects, en prendre conscience est déjà un premier pas pour les contourner. Ceci, sans aucun doute, nous évitera de nous laisser enfermer dans ces structures de pensées limitant notre champ d’action et nous ouvrir à l’exploration du champ des possibles[1].
[1] Pour approfondir le sujet, il existe bon nombre de livres.
Negotiating rationnaly de Max Bazerman, expert en psychologie comportementale. Il fournit des exemples concrets de négociation où certains de ces biais rentrent en jeu.
Voir Aussi
le Centre Européen de la Négociation, cité dans Le Point.
- 13 février 2024 2:43 pm·
Négociations sociales : gare aux trois fausses pistes !
- 2 mars 2021 8:19 am·