Trois leçons tirées de la négociation
1. Pour négocier il faut au moins être deux.Les tentatives du gouvernement pour ouvrir une négociation avec les gilets jaunes se sont avérées vaines. Les interlocuteurs auto désignés pour entamer le dialogue avec lui ont vite été congédiés par le mouvement. Fort d’une adhésion citoyenne, la crise a ensuite été en s’aggravant malgré les dérapages, les violences et les destructions occasionnés. Dans les entreprises, les patrons le savent : pour désamorcer un conflit, ils ont besoin d’interlocuteurs crédibles capables de vendre un accord à leur base. Dans le cas de ce mouvement inédit, protéiforme et refusant toute forme de représentativité notamment par les corps intermédiaires, c’était donc mission impossible et ceux qui accablent le gouvernement feraient bien de s’abstenir ou d’être plus mesurés.
2. Tous les négociateurs le savent, faire des concessions sans aucune contrepartie, au lieu da calmer le jeu, rend le vis-à-vis plus exigeant et l’encourage à réclamer encore davantage. Pourquoi ? Parce qu’auparavant, il lui avait été expliqué en long et en large que les caisses étaient vides ; et voilà que soudain, sous la pression exercée, les tiroirs caisses s’ouvrent et déversent leurs flots. Conclusion évidente : s’ils ont cédé, c’est qu’ils en ont encore « sous la pédale ». Il suffit, dès lors, d’accentuer la pression pour en obtenir encore plus. Les concessions sans contreparties constituent à l’évidence un véritable encouragement à la mauvaise conduite. Je le dis depuis toujours : « On peut céder sans s’aider ». Mais, le gouvernement pouvait-il faire autrement ? Très objectivement et pour être juste, au vu de l’ampleur inattendue du mouvement et les surenchères qui l’ont accompagnées, ma réponse est non. Après coup, il est toujours facile de dire qu’il aurait dû lâcher la taxe sur les carburants dès le début du mouvement. Mais, l’aurait-il décidé, n’aurait-il pas subi les critiques les plus acerbes de reproduire face à la rue les reculades de ses prédécesseurs?
3. Pour régler un conflit, il faut identifier et traiter le véritable problème. Or, pour désamorcer cette crise, le gouvernement a donné une réponse essentiellement financière et budgétaire. Ce faisant, il a reproduit un schéma typiquement français face aux conflits qui consiste à acheter la paix sociale en donnant de l’argent. Bien sûr que les espèces sonnantes et trébuchantes ont un impact pour apaiser les tensions. Ceci permet aux délégués du personnel de retour vers leur base de clamer haut et fort qu’ils ont réussi à arracher de haute lutte au patron des concessions bien palpables. En réalité, bien souvent, les véritables problèmes sont ainsi éludés avec la complicité et de la direction et des syndicats. Dans notre cas, si les éléments déclencheurs de l’étincelle ont été la taxe carbone, la CSG sur les revenus des retraités ou la limitation de la vitesse à 80 Km/h, celles-ci n’étaient que le révélateur d’un malaise de fond. Il a été vite décrit par certains en termes de pouvoir d’achat ou comme étant l’expression d’un sentiment d’injustice fiscale. En réalité, je pense que celui-ci porte sur des besoins beaucoup plus profonds de reconnaissance, d’appartenance et surtout de sens. Seule une véritable étude sociologique permettra avec le recul d’en analyser tous les contours. J’espère en tout cas que les réponses qui découleront du Grand Débat, exercice unique dans les annales de la république, sauront adresser ces trois besoins fondamentaux. Car, comme l’a dit le Président dans un des débats, ce n’est pas en rétablissant l’ISF (qui n’a d’ailleurs été supprimé que sur les revenus du capital) que la qualité de vie des personnes présentes allait automatiquement s’améliorer.